Ô, Kisasa makambo !
Cet article est le fruit d’une passion pour la musique populaire congolaise. Les longues heures d’écoute de la rumba congolaise, dont l’émergence remonte aux années 1950 à Kinshasa, ont élargi mon horizon historique et permis de saisir l’identité complexe d’une ville en devenir. Le discours musical des années 1950 et 1960 fournit aux chercheurs une abondance de sources qui éclairent la naissance de la modernité urbaine à Kinshasa et les représentations des citadins dans une période charnière entre l’expansion démographique des années d’après-guerre et l’urbanisation à outrance des années suivant l’indépendance. Durant cette période, les musiciens congolais ont utilisé la musique populaire non seulement pour décrire comment Kinshasa s’est métamorphosée en l’espace de quelques décennies d’un point d’ancrage de l’effort colonial belge en une mégalopole, mais aussi pour témoigner de sa position centrale comme fabrique et théâtre de modernité. Leur musique a rempli plusieurs fonctions : espace récréatif, commentaire social, vade-mecum à l’usage des jeunes migrants aux prises avec la modernité urbaine, et surtout baromètre des moindres changements d’humeur qui se produisent au sein d’un paysage urbain en trompe-l’œil. Cet article fait non seulement l’inventaire de ces multiples fonctions, mais analyse également les thèmes dont cette musique a été productrice, de l’invention du quotidien et de nouvelles attitudes urbaines face à la mort et l’amour au développement d’une jungle urbaine.