« Les Allemands et les Boches » : la musique allemande à Paris pendant la Première Guerre mondiale
A Londres, « on n’a pas encore opéré la distinction entre les Allemands et les Boches », déplore un critique français en décembre 1916. A Paris, par contre, pendant toute la durée du conflit cette distinction est observée avec une certaine rigueur : si Mozart, Beethoven et même Schumann continuent à être joués par les orchestres français, Wagner et tous ses successeurs, y compris des contemporains tels que Strauss ou Schoenberg, sont frappés d’un ostracisme complet. Mais la mise en place de ce clivage, sur le plan des pratiques musicales comme sur celui des discours, ne va pas sans tensions et hésitations, qui reflètent autant les débats idéologiques généraux – par exemple les applications de la thèse des « deux Allemagnes » – que des positions contradictoires à l’intérieur du champ musical, notamment les différentes attitudes face à la musique d’avant-garde. Si Camille Saint-Saëns n’hésite pas à prôner l’exclusion totale des Allemands dès septembre 1914, nombreux sont également ceux qui, tel Vincent d’Indy, sont prêts à envisager une après-guerre où Wagner serait remis à l’honneur – comme ce sera d’ailleurs le cas dès décembre 1919. En fait, la crispation des champions du rejet à partir des premiers mois de 1916 – avec notamment la création de la Ligue pour la défense de la musique française – semble coïncider avec une relative banalisation de la présence d’œuvres allemandes dans les programmes des principales associations de concerts.