L'invention du « grand répertoire ».
Comme le montre Edward W. Said, Aïda représente pour Verdi – du fait d’une première et exemplaire inscription de son œuvre dans un contexte international – un tournant dans sa carrière. Prenant à revers de nombreux musicologues qui ont tenté de découper l’œuvre verdienne en « manières », suggérant l’existence de changements esthétiques majeurs et l’avènement d’une maturité musicale et expressive – souvent placée du reste plus tard avec l’écriture d’Ottello et Falstaff –, Said montre l’importance que revêtent le contexte et les perspectives de la composition de cet opéra, créé au Caire. Si les pages que consacre Edward W. Said à Aïda restent décisives et d’une grande acuité, on a peut-être insuffisamment tiré les conséquences de la lecture politique qu’il propose. A partir de la fin de la Première Guerre mondiale, le répertoire français – très tourné vers une culture franco-française de l’opéra pendant près d’un siècle – s’est marginalisé au sein du répertoire international dont les canons s’usinent alors. L’opéra italien du XIXe siècle jusqu’alors connu en France, mais non reconnu et adopté, fait alors son entrée, introduit par la carrière internationale de Aïda. Écrire l’histoire de l’émergence du répertoire lyrique et contemporain – dont le répertoire est d’une étonnante stabilité depuis les années 1920 et 1930 – est encore une tâche hors de portée. Nous voudrions plus modestement, par une analyse liminaire, poser quelques jalons afin d’esquisser quelques articulations de cette histoire et de l’histoire politique du théâtre lyrique ( XIXe - XXe siècle).