Risque d'incendie en milieu urbain et « industrious revolution » : le cas de Londres dans le dernier tiers du XVIIIe siècle
À la fin du XVIIIe siècle en Angleterre, l’incendie urbain suscite de nouvelles inquiétudes qui, à mesure que l’industrie investit l’espace urbain, accompagnent l’émergence de sociétés d’assurances, privées et concurrentes, tel que le Sun Fire Office créé en 1710. L’analyse des fonds de cette compagnie a jusqu’à présent fait l’objet d’enquêtes quantitatives macro-économiques basées sur les polices d’assurances. À partir du corpus restreint des « plaintes » individuelles, notre étude est menée à l’échelle micro. Nous avons ainsi pu qualifier dans un premier temps les facteurs de risques à travers l’analyse des profils socio-économiques des victimes : certains sont liés aux outils de production, d’autres aux secteurs d’activités et aux matériaux utilisés. Loin de résulter de l’émergence d’une industrie « lourde » et dangereuse, la principale cause réside dans l’organisation matérielle des modes de production artisanale à Londres, sous l’effet de l’essor économique de la capitale anglaise et de l’élan consumériste des Lumières pour des produits innovants (concentration des ateliers, imbrication des lieux de stockage aux sites de fabrication et d’habitation, multiplication et usage intensif des foyers en tout genre). L’analyse engage alors une autre lecture spatiale de la première modernité de la société du risque durant l’« industrious revolution » et permet d’esquisser une géographie de ces plaintes par la localisation des sinistres à l’échelle de la ville et de son port. Le dernier temps de cette enquête s’attache aux rapports entre les assurés et la compagnie et à la manière dont s’est négociée l’économie du risque à l’échelle des individus, du voisinage et du quartier – en somme, au cœur du système relationnel qui fonde l’économie artisanale. Le Sun Fire Office apparaît alors comme une institution multifonctionnelle, moyen de secours d’urgence et outil de compensation des dommages, révélant les perceptions collectives et différenciées du risque d’incendie dans le monde du travail à Londres au XVIIIe siècle.