Quand les militantes de quartier « jouent les gros bras ». Genre et violences politiques au tournant de l’indépendance du Soudan français

Femmes africaines et mobilisations collectives (années 1940-1970)
Par Ophélie Rillon
Français

Bien que la décolonisation de l’Afrique de l’ouest francophone soit considérée comme un processus « pacifique », en opposition aux guerres de libération nationale, elle a généré de nombreux conflits avec l’administration coloniale mais aussi entre les différentes organisations partisanes créées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale dans les colonies. En partant de l’exemple du Soudan français, actuel Mali, cet article analyse l’action de rue de femmes issues de milieux populaires (paysannes, « ménagères », commerçantes, « matrones ») et leur participation aux violences politiques de cette décennie. Interrogée sous l’angle du genre, la participation de ces femmes à des conflits violents dans l’espace urbain va à l’encontre des stéréotypes sexués. Ainsi, l’analyse des usages féminins de la rue permet d’envisager sous un autre jour les dichotomies entre les espaces publics et privés, les activités politiques et domestiques qui s’avèrent peu opérantes pour comprendre les formes de l’engagement féminin et leur passage à l’action collective. Aux antipodes de la féminité maternelle et pacifique prônée par les organisations de femmes instruites et par les leaders nationalistes, les femmes populaires dont il est ici question investissaient des rôles considérés comme virils car violents et provocants. Pour autant, la part prise par ces femmes dans les violences de rue doit-elle être interprétée comme une transgression, voire un brouillage des rôles de genre ? En quoi le rapport à la violence et les représentations accolées à la violence féminine pouvaient varier selon les classes sociales ? La division politique du travail militant relevait tout autant de catégories de genre, d’âge et de classe. En confiant aux femmes des milieux populaires les tâches de mobilisation, de recrutement, de propagande et de contrôle des points névralgiques de leurs quartiers, les organisations politiques les propulsaient à l’avant-poste de la confrontation. Une lecture sexuée des phénomènes de violence dans l’action collective, articulée à une analyse de l’imbrication des affrontements partisans dans la vie quotidienne de ces femmes, permet de restituer la complexité du processus de décolonisation dans le Soudan français.

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