Peur coloniale et politisation des immigrants chiites sud-libanais au Sénégal dans l’entre-deux-guerres
Cet article étudie la politisation des immigrés chiites originaires de Sud-Liban ou Jabal ‘Âmil qui se sont établis au Sénégal, et plus particulièrement à Dakar, principale porte d’entrée de l’Afrique occidentale française tout au long de la période coloniale. Il montre l’étendue de réseaux politiques nationalistes animés par des immigrés pleinement engagés dans les débats et controverses de la Nahda – terme utilisé dans le champ politique pour célébrer et promouvoir le réveil politique des Arabes –, et les clivages traversant la nébuleuse nationaliste syrienne dans l’entre-deux-guerres. Les contradictions de la politique mandataire française se trouvent alors de plus en plus contestées par une nouvelle génération de propagandistes, intransigeants dans leur volonté d’indépendance et révolutionnaires dans leur définition d’une communauté nationale syrienne. Ces réseaux offrent ainsi aux immigrés la possibilité de contester l’impérialisme français par ses marges. Derrière un vocabulaire religieux et la peur de diffusion du panislamisme en Afrique noire, majoritairement musulmane, les administrateurs coloniaux, convaincus du potentiel subversif de l’islam dans la contestation de l’ordre colonial par les Africains, redoutent surtout l’intégration de l’AOF dans un monde musulman de plus en plus conscient de lui-même depuis le début du siècle.